Vous gérez un projet en retard ? L’ajout de personnes supplémentaires dans l’équipe semble la solution évidente pour rattraper le temps perdu.
Pourtant, cette approche pourrait amplifier le problème. Découvrez pourquoi la loi de Brooks, formulée en 1975, remet en cause les logiques intuitives de gestion de projet.
Qu’est-ce que la loi de Brooks ? La définition à connaître
La loi de Brooks affirme : « Ajouter des personnes à un projet logiciel en retard accroît son retard« .
Cette observation provient de Fred Brooks, architecte du système OS/360 chez IBM. Dans son ouvrage Le Mythe du mois-homme, il partage les enseignements de ce projet pionnier.
Derrière cette formule se cache une réalité cruciale : ajouter des personnes à un projet en difficulté ne résout pas le problème, il en génère. Ce principe émerge d’une époque où les projets logiciels dépassaient régulièrement les budgets de 300 à 1000 %.
« Ajouter des personnes à un projet en difficulté ne résout pas le problème, il l’aggrave. »
L’idée de base, c’est que la plupart des tâches ne peuvent pas être divisées entre plusieurs personnes. Ajouter de nouveaux membres à une équipe fait donc perdre du temps, car il faut plus communiquer et se coordonner (sans compter la formation des nouveaux venus). Ce temps perdu augmente rapidement à mesure que le nombre de personnes grandit.
En gestion de projet, la taille d’une équipe suit une logique de rendement décroissant : plus on ajoute de monde, moins chaque nouvelle personne apporte de productivité.
Pour imager :
- Ce n’est pas parce qu’on met 300 cuisiniers dans une cuisine qu’on fera un œuf au plat 300 fois plus vite.
- Ou, comme le dit la célèbre formule : « On ne fait pas un bébé en un mois avec neuf femmes. »
Le paradoxe du mois-homme : pourquoi 1+1 ne fait pas 2
L’unité « mois-homme » suggère que si un développeur met 10 mois pour créer un logiciel, dix développeurs pourraient le faire en un mois. Brooks démontre que cette illusion cache une réalité complexe.
La formule n(n-1)/2 explique la montée en charge de la communication : 5 personnes génèrent 10 canaux, 10 personnes en produisent 45.
« Ajouter de la main-d’œuvre à un projet logiciel en retard ne fait que le retarder davantage. »
Plus on ajoute de personnes à l’équipe, plus la communication est complexe. Ajouter 1 personne n’équivaut pas à ajouter 1 canal de communication. Cette nouvelle personne aura un canal de communication avec chaque membre déjà existant dans l’équipe.
Ce schéma illustre clairement ce paradoxe :

L’analogie de Brooks « neuf femmes ne font pas un bébé en un mois » illustre l’irréductibilité de certaines tâches. Les nouveaux venus génèrent trois problèmes majeurs :
- Ils ne sont pas opérationnels de suite.
Il leur faut du temps pour comprendre le code existant : 2 à 4 semaines avant d’être opérationnel en moyenne. - Besoins de formation par les membres expérimentés de l’équipe projet.
Chaque heure de formation est soustraite au développement, et demande de rendre disponibles des membres expérimentés qui ont déjà du retard sur leurs tâches. - Complexité accrue de la communication.
Plus de canaux de communication = réunions, points de synchronisation, résolution de conflits, …
Ces obstacles transforment souvent la solution en source de retards supplémentaires. C’est pour ça qu’on dit souvent que c’est une mauvaise idée de gonfler l’équipe ou de recruter de nouvelles personnes pour accélérer le delivery alors que le projet est déjà en retard.
Cette loi figure parmi les lois de projet essentielles à connaître.
Si vous n’êtes pas encore convaincu, voici un exemple d’application de cette loi de Brooks :
Un projet ERP en 2022 a vu son retard doubler après l’ajout de 5 développeurs, à cause de 120 heures perdues en formation des nouveaux venus et 40 conflits de code résolus en urgence.
Les 3 coûts cachés qui ralentissent votre projet
1 ) Le coût de l’intégration : la phase de « montée en puissance »
Lorsqu’un développeur rejoint une équipe en retard, son temps d’adaptation réduit la productivité globale.
Les membres expérimentés doivent consacrer une partie de leur temps à la formation, ralentissant ainsi leur propre travail.
Un développeur senior passant 50 % de son temps sur deux semaines pour former un nouveau sur l’architecture d’une application illustre cette perte de productivité. Si ce développeur était responsable de finaliser une API essentielle, son implication réduite pourrait bloquer l’équipe front-end dépendant de cette intégration.
74 % des collaborateurs doivent clarifier des informations à plusieurs reprises, ce qui alourdit la charge cognitive. Un nouveau membre mal intégré pourrait, par exemple, introduire un bug critique dans un module de paiement en ligne, nécessitant une réécriture complète.
2 ) Le coût de la communication : l’explosion des échanges
L’ajout de nouveaux membres multiplie les canaux de communication selon la formule n(n-1)/2, générant plus de réunions, e-mails et messages.
Cette surcharge de communication détourne les ressources humaines du travail technique essentiel.
Une équipe de 5 personnes gère 10 canaux, mais ce chiffre passe à 45 avec 10 membres. En télétravail, les outils multiples (Slack, Teams) obligent des alternances entre applications, perdant jusqu’à 60 minutes quotidiennes.
Les raisons principales de la loi de Brooks résident dans :
- Le temps de formation des nouveaux membres.
- L’augmentation exponentielle des canaux de communication.
- L’indivisibilité de certaines tâches complexes.
67 % des équipes signalent des retards dus à des malentendus, comme indiqué dans cet article, sur les impacts liés à la taille des équipes projet.
3 ) Le coût de la division : toutes les tâches ne sont pas sécables
Une tâche sécable est une tâche qui ne peut pas être divisée.
Brooks compare le développement logiciel à une grossesse : ajouter des personnes n’accélère pas les tâches indivisibles.
La conception d’une architecture de base de données exige une vision cohérente. Diviser cette étape entre plusieurs développeurs génère des incohérences.
Selon la loi d’Amdahl, la partie séquentielle fixe une limite infranchissable. Un projet d’application de santé, par exemple, ne peut fractionner la validation des normes de sécurité, une étape critique nécessitant une expertise unique.
La segmentation en sous-problèmes gérés par des équipes réduites, avec coordination centrale, reste une solution viable, comme expliqué dans cet article sur la façon de gérer la complexité d’un projet. Intégrer des spécialistes sur des sous-projets isolés (comme un expert en cybersécurité) évite les interférences tout en maintenant des jalons clés.
Anatomie d’un échec : l’effet boule de neige en action
Le projet « Phénix » : un cas d’école
Le projet « Phénix » démarre avec une équipe de 4 développeurs ambitieux.
L’objectif : créer un logiciel de gestion pour des PME, intégrant un module de facturation automatisée et un tableau de bord personnalisé.
Déroulement :
Les premières semaines semblent prometteuses, mais la complexité sous-jacente ralentit les avancées. À la mi-projet, le retard s’accumule. La direction, inquiète, décide d’ajouter 2 développeurs pour « accélérer ». Ce choix déclenche une série de conséquences inattendues. Les fondations du projet, mal documentées, ralentissent la montée en compétence des nouveaux.
L’engrenage du retard : comment tout s’aggrave
Dès l’arrivée des nouveaux, les deux développeurs seniors interrompent leurs tâches pour former les recrues.
Les réunions de synchronisation, autrefois de 30 minutes, s’étirent à plus d’une heure.
Les nouveaux, peu familiers avec le code, introduisent des bugs critiques, comme une erreur bloquant l’accès aux rapports mensuels, critique pour les clients.
La coordination devient un goulet d’étranglement.
Les développeurs passent plus de temps à clarifier les tâches qu’à les réaliser.
Le moral baisse, les erreurs s’accumulent. Le projet, censé se rattraper, est désormais plus en décalage par rapport aux délais initiaux.
« Dans un projet en retard, chaque nouvelle personne ajoutée devient un nouveau point de friction, pas une nouvelle source de productivité. »
Le bilan : plus de monde, moins de résultats
Après six semaines de cette dynamique, le projet « Phénix » accuse 2 mois de retard supplémentaires.
L’équipe, passée de 4 à 6 personnes, est submergée par les interactions inutiles. Pour comprendre ce phénomène, observons l’explosion des canaux de communication :
| Taille de l’équipe | Nombre de canaux de communication (n*(n-1)/2) |
|---|---|
| 2 personnes | 1 canal |
| 4 personnes | 6 canaux |
| 6 personnes | 15 canaux |
| 8 personnes | 28 canaux |
| 10 personnes | 45 canaux |
Chaque canal génère des risques de malentendus et des efforts de coordination.
Dans le cas du projet « Phénix », ces 15 canaux pour 6 personnes transforment la collaboration en un casse-tête. Une segmentation claire des tâches et un onboarding structuré auraient permis d’éviter ces frictions.
Cet exemple illustre parfaitement la loi de Brooks : ajouter des ressources humaines à un projet en difficulté accroît les coûts de synchronisation, au détriment de la productivité.
Comment sortir de l’impasse : 3 stratégies pour gérer un projet en retard
Les retards de projet sont fréquents en développement logiciel.
Selon le Standish Group, 66% des projets informatiques dépassent leur budget, entraînant des coûts cachés comme la perte de confiance client et les opportunités manquées.
La loi de Brooks rappelle qu’ « ajouter des développeurs à un projet en retard l’aggrave ». Concentrez-vous sur des ajustements ciblés pour livrer malgré les imprévus.
1 ) Stratégie 1 : Repenser le calendrier et les attentes
Un projet en retard révèle souvent une planification trop optimiste.
Adaptez votre planning à la capacité réelle de l’équipe.
Par exemple, si un module de paiement prend du retard, recalculez les jalons avec le client en utilisant des outils comme les différentes manières d’optimiser un planning projet.
Ces outils permettent de visualiser les ajustements en temps réel et d’impliquer l’équipe dans le nouveau calendrier. Des outils comme Jira ou Trello facilitent la mise à jour des jalons et la communication des délais révisés.
2 ) Stratégie 2 : Réduire le périmètre pour livrer l’essentiel
Privilégiez les fonctionnalités « Must Have » indispensables à la livraison.
Un projet e-commerce pourrait prioriser le paiement en ligne au détriment des filtres avancés.
La méthode MoSCoW (Must Have, Should Have, Could Have, Won’t Have) ou le Story Mapping aident à clarifier les priorités.
Une bonne méthode pour gérer les imprévus consiste à segmenter les livrables avec une WBS (Work Breakdown Structure) pour identifier les éléments critiques via la méthode du chemin critique.
Par exemple, dans un logiciel de gestion RH, la feuille de présence serait « Must Have » alors que l’intégration d’un chat collaboratif serait reportée.
3 ) Stratégie 3 : Optimiser l’équipe existante
Avant d’embaucher, maximisez la productivité actuelle. Voici les actions clés :
- Protéger les développeurs des interruptions via des « plages de concentration » sur Google Agenda, en limitant les réunions à 2 créneaux par semaine.
- Améliorer les outils techniques : des IDE performants ou des serveurs rapides gagnent en moyenne 2h/semaine par développeur, selon une étude GitHub.
- Résoudre les blocages rapidement avec des canaux dédiés sur Slack, comme un salon #urgence-tech pour les problèmes critiques.
- Reconnaître les efforts par des feedbacks réguliers ou des célébrations de livrables intermédiaires pour maintenir la motivation.
Mettez en place un suivi avec des KPIs comme le taux de complétion des tâches (ex: 85% de sprints terminés à temps) ou la satisfaction client sur les versions intermédiaires via des sondages post-livraison. Ces indicateurs permettent d’anticiper les risques avant qu’ils ne s’aggravent.
La loi de Brooks rappelle qu’ajouter des ressources à un projet en retard le ralentit davantage. Les coûts cachés de la formation, de la communication et des tâches indivisibles pèsent lourd. Pour sortir de l’impasse, revoir les délais, prioriser l’essentiel et optimiser l’équipe. La maîtrise des projets tient à des choix éclairés, non à l’accumulation de moyens.


