L’agilité n’a jamais été autant d’actualité. Qu’il s’agisse du manifeste agile, de Scrum, de Kanban ou encore de SAFe, tout le monde en parle.
Pas mal pour un document écrit en 2001 !
Mais justement… ça commence à dater. On peut alors légitimement se poser la question de si ce fameux manifeste agile est toujours d’actualité, ou s’il mérite d’évoluer ?
Petit résumé du manifeste agile
Le manifeste agile est un document rédigé en Février 2001 par 17 experts du développement logiciel, et qui a pour objectif d’énoncer les 4 valeurs et 12 principes agiles qui doivent régir la gestion de projets selon eux, et plus particulièrement dans le domaine du développement logiciel.
Ce petit guide rapide à lire (68 mots, c’est dire !) a clairement révolutionné le monde de la gestion de projets et le monde de l’IT. Et il est en passe de profondément bouleverser les organisations projets dans d’autres domaines métiers.
Voici ce que nous dit le manifeste agile :
Nous découvrons comment mieux développer des logiciels par la pratique et en aidant les autres à le faire.
Ces expériences nous ont amenés à valoriser :
- Les individus et leurs interactions plutôt que les processus et les outils
- Des logiciels opérationnels plus qu’une documentation exhaustive
- La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle
- L’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan
Nous reconnaissons la valeur des éléments sur la partie droite de la phrase, mais privilégions ceux de la partie gauche.
Que signifie vraiment être agile ?
Comme vous pouvez le voir, le manifeste agile est succinct. Très succinct même.
On n’y parle ni de processus, ni d’organisation, ni de méthode.
N’en déplaise à certains, l’agilité ce n’est pas Scrum !
L’agilité, c’est avant tout une philosophie, un état d’esprit. C’est avoir une vision orientée client. C’est s’adapter rapidement aux changements, et collaborer fréquemment avec le client pour livrer un produit qui apporte de la valeur.
Au final, peu importe les méthodes de travail et de gestion de projets utilisées, tant que vous respectez les principes et valeurs agiles.
D’ailleurs on ne devrait pas parler de LA méthode agile. ça n’existe pas.
Il y a bien DES méthodes agiles, telles que Scrum, Kanban, XP (extreme programming) ou encore SAFe. Pour être exact, on devrait même parler de cadres méthodologiques (ou frameworks) pour certaines d’entre elles.
Ce qui compte, ce n’est pas comment vous le faites, ce n’est pas quelle méthode vous respectez à la lettre, mais pourquoi vous le faites. Et ce que vous priorisez.
Le manifeste agile nous donne une idée de l’état d’esprit à adopter. Libre à chaque équipe ensuite de s’auto-organiser.
Le manifeste agile est-il toujours d’actualité ?
Alors du coup, ce manifeste agile, faut-il encore en tenir compte ? Est-il toujours d’actualité ?
Les valeurs énoncées dans le manifeste agile sont parfois considérées comme du bon sens : simplicité, collaboration étroite, amélioration continue, réactivité face au changement, flexibilité, apporter de la valeur avant tout.
Pourtant ces valeurs, bien que simples à comprendre, ne sont pas appliquées partout. Loin de là même.
Le manifeste agile n’a donc pour moi jamais été autant d’actualité.
Démonstration.
1 ) Le manifeste agile s’inscrit dans un monde VUCA
Nous évoluons aujourd’hui plus que jamais dans un monde VUCA complexe, volatil, ambigu et incertain.
Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé ces dernières années pour s’en convaincre : pandémie mondiale, confinements à répétition, guerre en Ukraine, inflation record, krach économique…
Il était tout simplement impossible de prédire que tout cela pouvait arriver en un laps de temps aussi court.
Cette imprédictibilité, cette incertitude est justement l’un des piliers fondateurs du manifeste agile.
Le monde évolue de plus en plus vite, les disruptions de marché se produisent sans prévenir, les besoins des consommateurs et clients évoluent à vitesse grand V…
Nous n’avons plus le luxe de passer 5 ans en R&D pour proposer un produit ou un service qui répond à un besoin qui a évolué depuis. Raisonner en cycle long ne fonctionne plus : il est nécessaire de raccourcir les cycles de développement de produits.
Et l’agilité aide justement à ça.
Pour aller + loin : Je vous invite à consulter cet article pour mieux comprendre le concept de monde VUCA.
2 ) Les individus et leurs interactions, de préférence aux processus et outils
La première valeur du manifeste agile nous dit qu’il faut privilégier les individus et leurs interactions, plus que les processus et les outils.
Pourtant, en sondant des équipes et des organisations qui se disent agiles, on remarque souvent un point commun : le fait que les processus et les outils sont priorisés par rapport aux interactions.
« On utilise Jira ou Trello parce que c’est ça l’agilité, c’est mettre des tâches sur des cartes, c’est avoir des colonnes Todo, Doing et Done. »
« L’agilité c’est respecter Scrum à la lettre. »
Si si je vous assure, véridique.
Certains qualifient ça de « faux agile » ou encore de « dark agile ». Et je suis plutôt d’accord avec eux.
Quant aux entreprises qui utilisent toujours les méthodologies de gestion de projet prédictives (traditionnelles quoi), on retrouve les mêmes travers : les processus ont le plus souvent la part belle, au détriment de la collaboration et de la communication.
Mais ce n’est pas systématiquement le cas : on peut gérer un projet de manière traditionnelle et être agile en même temps. Ce ne sont pas deux notions antinomiques, bien que certains disent le contraire.
Ah, on me dit dans l’oreillette que les puristes s’étranglent. 😀
Bref, cette première valeur était d’actualité en 2001, elle l’est toujours autant aujourd’hui.
3 ) Des solutions opérationnelles, de préférence à une documentation exhaustive
Cette seconde valeur a été également détournée de sa définition initiale.
Le manifeste agile ne dit pas qu’il ne faut pas faire de documentation. Il dit simplement qu’il vaut mieux livrer un produit qui fonctionne bien mais qui n’est pas documenté à 100% plutôt qu’une documentation exhaustive pour un produit qui ne fonctionne pas.
Pour travailler dans l’informatique et échanger avec de nombreux éditeurs au quotidien, je peux vous affirmer qu’on a encore du travail sur ce point : mise à disposition de correctifs non testés, produit qui ne répond pas aux besoins exprimés, bugs à répétition, etc…
Depuis les confinements, j’ai d’ailleurs noté une sérieuse tendance à vouloir tenir coûte que coûte les délais, quitte à réduire la qualité. C’est triste…
Et ça nous montre qu’il y a encore un long chemin à parcourir avant d’arriver à des solutions opérationnelles de qualité.
Encore une fois, le manifeste agile est toujours autant d’actualité.
4 ) La collaboration avec les clients, de préférence aux négociations contractuelles
Cette troisième valeur est probablement la moins appliquée.
Je vois plein d’entreprises qui se vantent d’être agiles, mais qui n’ont jamais été aussi éloignées de leurs clients, alors que le manifeste agile nous dit clairement qu’il faut collaborer avec eux.
Rappelez-vous qu’entre les besoins exprimés par le client dans son cahier des charges, ses besoins réels, ce qu’il n’a pas écrit mais qu’il attend de vous, les besoins des utilisateurs finaux, ce que vous en comprenez, etc, il peut parfois y avoir des ravins.
D’ailleurs, vous connaissez sûrement la citation suivante, qui résume bien mon propos :
Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils désiraient, ils m’auraient dit : un cheval plus rapide.
Henri Ford
Encore une fois, cette valeur décrite dans le manifeste agile est toujours d’actualité.
Le client est au centre de tout, et le monde évoluant de plus en plus vite, on ne peut pas se permettre de développer quelque chose pendant plusieurs années en autarcie avant de le montrer au client.
Il faut au contraire collaborer avec le client, échanger avec lui, lui présenter des prototypes régulièrement, afin de recueillir son feedback et de créer quelque chose qui répond exactement à ses besoins et attentes.
5 ) La réponse au changement, de préférence au respect d’un plan
L’agilité fait la part belle au changement. Les auteurs du manifeste agile ont compris qu’il ne faut pas combattre le changement, mais plutôt s’y adapter.
En gestion de projet traditionnel, on cherche le pus possible à cadrer le projet et à définir le périmètre, puis, une fois que c’est fait, on va chercher à figer le plus possible le périmètre et éviter les évolutions, afin de se concentrer sur le plan d’action.
Ce qu’ils ont compris, c’est qu’il est vain de vouloir à tout prix suivre un plan d’action si c’est au final pour proposer un produit qui ne répond plus aux attentes du client.
Il est préférable d’accepter le changement, et de privilégier des cycles de développement coûts (les fameuses itérations), qui permettent de s’adapter rapidement et de modifier les plans à chaque fois que nécessaire.
Le premier objectif d’un projet est d’apporter de la valeur à son commanditaire.
Toujours autant d’actualité également.
6 ) Nous découvrons de meilleures façons de développer des solutions
Enfin, le manifeste agile démarre par cette phrase : « nous découvrons de meilleures façons de développer des solutions ».
C’était le cas en 2001 lors de la rédaction de ce document, ça l’est toujours aujourd’hui. Bien que nous continuons à développer un état d’esprit agile, les méthodes de travail d’hier ne seront pas forcément celles de demain.
Nous continuons donc à découvrir de meilleures façons de travailler.
Les 12 principes agiles sont-ils toujours d’actualité ?
Même constat du côté des principes sous-jacent au manifeste agile, ils sont toujours autant d’actualité, y compris dans les organisations agiles.
On peut vite perdre de vue ces principes et aller à l’encontre de ceux-ci, sans s’en rendre compte.
Voici en 260 mots les 12 principes de l’agilité :
- Notre principale priorité est de satisfaire le client en livrant rapidement et régulièrement des solutions qui apportent de la valeur.
- Accueillez chaleureusement les changements de besoins, même tardifs dans le développement. Les processus agiles tirent parti du changement pour renforcer l’avantage concurrentiel du client.
- Livrez souvent des solutions opérationnelles, à une fréquence allant de quelques semaines à quelques mois, avec une préférence pour les échelles de temps les plus courtes.
- Les personnes en charge du métier ou des affaires et les personnes en charge de la réalisation doivent travailler ensemble chaque jour, tout au long du projet.
- Construisez les projets à partir de personnes motivées. Donnez-leur l’environnement et le soutien dont elles ont besoin et faites-leur confiance pour mener à bien le travail.
- La conversation en face à face est la méthode la plus efficace et la plus économique pour donner des informations à une équipe de réalisation, et pour échanger des informations à l’intérieur de l’équipe.
- La disponibilité de solutions opérationnelles est la principale mesure d’avancement.
- Les processus agiles encouragent à respecter un rythme soutenable lors de la réalisation. Les commanditaires, les réalisateurs et les utilisateurs devraient pouvoir maintenir indéfiniment un rythme constant.
- Porter continuellement attention à l’excellence technique et à la qualité de la conception renforce l’agilité.
- La simplicité – l’art de maximiser la quantité de travail qu’on ne fait pas – est essentielle.
- Les meilleures architectures, les meilleures spécifications de besoins, et les meilleures conceptions émergent d’équipes auto-organisées.
- À intervalles réguliers, l’équipe réfléchit aux façons de devenir plus efficace, puis modifie son comportement et l’ajuste en conséquence.
Vous voyez un principe qui ne serait plus d’actualité, vous ? Moi pas.
Être agile ou être fragile ?
L’agilité a clairement le vent en poupe et va continuer à se développer.
Peu importe les méthodes utilisées, je pense qu’il est aujourd’hui indispensable d’adopter un état d’esprit agile, si l’on cherche à être efficace, mieux travailler, et délivrer de la valeur.
Les entreprises qui ne prendront pas la vague auront de plus en plus de mal à recruter, et finiront par s’effondrer.
Mais comme je l’ai dit, l’agilité n’est pas Scrum. Ce n’est pas un cadre méthodologique. Ce n’est pas non plus une méthode.
Chaque équipe et organisation est libre de s’organiser comme elle l’entend, tant qu’elle respecte ces valeurs et principes de bon sens.
Personnellement, je vois mal le manifeste agile devenir obsolète. Je ne vois pas de situation où ces principes ne s’appliquent pas.
Demain, le manifeste agile sera toujours d’actualité. Mais la manière dont nous pratiquons l’agilité aura certainement évolué comparé à aujourd’hui.
Pour aller + loin : Découvrez dans cet article les 15 idées reçues les plus courantes sur l’agilité, et pourquoi elles sont fausses.