Est-ce que ça vous est déjà arrivé de vous retrouver sur un projet tellement wtf (what the fuck) que vous auriez aimé l’arrêter ou l’annuler ?
Moi oui. ça m’est arrivé plus d’une fois : dérive des objectifs, planning repoussé aux calendes grecques, imbroglio politique, départ de ressources-clés, explosion du budget, périmètre changeant constamment. Et tout ça sur un seul projet.
Avec le recul, je me dis qu’on aurait mieux fait d’annuler le projet avant de subir tout ça. Mais peut-on vraiment annuler un projet en cours de route ? Cette question m’a longtemps obsédé.
Aujourd’hui dans cet article, on va voir pourquoi arrêter de façon anticipée un projet peut avoir du bon, comment le faire et surtout quand le faire.
Peut-on annuler un projet en gestion de projet ?
Il est possible d’arrêter un projet de manière anticipée en gestion de projet, notamment lorsque les risques sont trop importants ou que le retour sur investissement n’est pas suffisant.
Les méthodologies de gestion de projet Prince2 et PMP ont intégré l’annulation d’un projet dans leur processus de clôture de projet.
Parfois, les projets ne sont tout simplement pas rentables. Les risques sont élevés, les obstacles rencontrés trop importants, le design et l’exécution du projet laissent à désirer, les coûts sont trop élevés, le périmètre et les objectifs à atteindre changent constamment, ou le retour sur investissement espéré ne permet pas de couvrir les frais.
Dans tous ces cas, il est plus simple de clôturer de manière anticipée le projet, plutôt que de continuer à s’acharner dans le vent pour rendre un projet rentable alors qu’il ne le sera jamais.
Même si une annulation reste douloureuse pour l’équipe projet et celui qui la prononce, c’est parfois la meilleure chose à faire pour le projet, pour le client, pour l’équipe mais également pour toute l’organisation.
Rappelez-vous qu’un projet n’a de sens que s’il apporte de la valeur à l’organisation et qu’il est aligné avec ses objectifs stratégiques.
Pourquoi abandonner un projet peut être bénéfique
Même si annuler un projet en cours de route est une décision difficile à prendre et reste traumatisant pour l’équipe projet, cela peut tout de même être bénéfique pour l’organisation :
- Éviter de perdre trop d’argent.
Si un projet n’est pas rentable, voit son budget exploser, ou son espoir de retour sur investissement à moyen long terme diminuer, ça peut être une bonne idée de s’arrêter là avant d’engager plus d’argent sur la table. - Réaffecter les ressources sur d’autres projets.
Les ressources humaines, matérielles et logistiques ne sont plus monopolisées par un projet voué à l’échec, et peuvent être redéployées sur d’autres projets plus prometteurs. - Répondre aux objectifs stratégiques de l’entreprise.
Parfois, on se rend compte que certains projets ne concordent plus avec les objectifs stratégiques de l’entreprise. Continuer un projet qui va à l’encontre de la stratégie de l’organisation est une pure perte de temps. - Permettre aux équipes de souffler et de se remotiver.
S’épuiser sur un projet en vain en essayant de le faire avancer alors qu’il est condamné d’avance, c’est démotivant pour les équipes. Arrêter un projet et rediriger les équipes vers des projets plus intéressants peut permettre de réengager et remotiver les équipes.
Annuler prématurément un projet peut ainsi être la meilleure décision pour l’organisation, qui peut arrêter d’investir dans quelque chose qui n’a aucun espoir d’apporter un retour sur investissement un jour.
Cela vaut également pour les membres de l’équipe qui peuvent passer d’un projet qui n’a aucun espoir d’aboutir sur un nouveau projet sur lequel ils peuvent apporter leur contribution.
Quand savoir quand annuler un projet ?
Vous l’avez compris, annuler un projet peut parfois être bénéfique, aussi bien pour vous que l’organisation.
Mais quel est le bon moment pour le faire ? Quels sont les signes avant-coureur auxquels il faut prêter attention.
- Le marché a évolué.
Parfois, le marché évolue dans une direction inattendue, qui rend le projet caduque. En le poursuivant, celui-ci n’apporterait plus de valeur au client. L’annuler est donc la meilleure solution. - Le projet coûte trop cher.
Face à des difficultés rencontrées sur un projet, il peut être nécessaire d’abonder le budget pour les surmonter. Mais si ces solutions coûtent bien plus que ce que le projet peut rapporter, le bon sens voudrait que l’on abandonne le projet. - Le projet est bloqué ou à l’arrêt.
Si votre projet est à l’arrêt et que vous n’avez pas de solutions viables économiquement et techniquement pour le continuer, l’arrêter prématurément peut être votre meilleure solution. A discuter avec le comité de pilotage projet. - Le budget, les charges et les délais sont dépassés.
Si vous explosez les charges consommés sur votre projet, votre budget en sera impacté tout comme le planning projet. La question est de savoir ce qu’il vous manque pour mener le projet à bien, et si l’organisation est prête à mettre ce budget supplémentaire sur la table. Si non, il faudrait envisager l’abandon du projet. - Le projet est devenu hors de contrôle.
Les objectifs et le périmètre changent quotidiennement, le planning projet est revu toutes les heures, vous faites du pilotage à vue… Pas de doute, le projet est hors de contrôle. L’annuler me paraît inévitable, avant de sombrer encore plus dans le chaos. - Une dérive des objectifs est constatée.
Le commanditaire fait évoluer constamment le périmètre du projet, ce qui amène une dérive des objectifs et du planning projet. Ces nouveaux ajouts repoussent sans cesse la date de fin de projet à une date ultérieure. Si vous n’avez plus de visibilité sur la date de fin de projet et les objectifs à tenir, le risque est que le projet continue indéfiniment. Et ce n’est pas souhaitable. L’annulation de ce projet devrait être sur la table pour discussion. - Le projet subit des retards à répétition.
La date de fin de projet est sans cesse repoussée. Vous consommez toujours plus de temps à mettre à jour le planning. Ces retards à répétition devraient vous faire réfléchir au fait de clôturer prématurément le projet. - La qualité des livrables n’est pas au rendez-vous.
Les livrables fournis au client ne respecte pas son niveau d’exigence, qui est tel que vous ne saurez pas l’atteindre en l’état. Dans ce cas, une discussion doit s’ouvrir, soit pour négocier une allonge budgétaire, soit pour négocier la baisse des exigences qualité, soit pour annuler le projet faute d’accord. - Il n’y a pas de parties prenantes ou pas d’intérêt client.
Sans parties prenantes sur le projet, il est impossible de le mener à bien. Une absence de parties prenantes indique une absence d’intérêt client et donc un projet qui n’a plus de raison d’être. Annulez-le sans attendre. - Le client ne cesse de faire des modifications et des ajouts.
Si le client continue à modifier le périmètre du projet quotidiennement sans tenir compte du processus de demande de changements, un recadrage du projet est nécessaire. Faute d’accord, cela pourrait mener jusqu’à son annulation. - Le projet ne sera jamais rentable ou le ROI est plus faible que prévu.
D’une manière ou d’une autre, un projet doit apporter de la valeur à l’entreprise et être rentable sur le moyen long-terme. Si ce n’est pas le cas, alors l’organisation doit se demander s’il est vraiment nécessaire de continuer à jeter en pure perte l’argent par les fenêtres. - Des tensions et conflits règnent entre équipes et ne sont pas résolvables.
Un conflit qui prend de l’ampleur entre l’équipe projet et le client peut mener jusqu’à une bataille d’avocats et un abandon du projet. Ayez conscience de ce risque, et essayez de résoudre les tensions et conflits dès que possible, sans les laisser s’envenimer. - Le projet n’a plus de raison d’être ou ne répond plus aux objectifs stratégiques de l’entreprise.
Parfois, les objectifs stratégiques de l’entreprise évolue et ne sont plus en accord avec ceux du projet. Le projet n’a alors plus de raison d’être et doit être annulé.
Le chef de projet peut-il décider d’annuler un projet ?
Le chef de projet ne peut pas décider seul de l’arrêt prématuré d’un projet.
Il peut cependant émettre une recommandation au comité de pilotage, à son sponsor ou à sa direction pour clôturer prématurément le projet.
Afin d’appuyer sa recommandation, le chef de projet fournit au comité de pilotage projet des informations factuelles attestant que le projet ne peut pas être mené au bout, ou à des coups bien trop importants.
Le COPIL projet a la responsabilité de décider de l’abandon ou non du projet.
Si le projet est annulé, le chef de projet doit alors le clôturer en respectant le processus de clôture d’un projet, tel que décrit dans les méthodologies Prince2 et PMP.
Comment arrêter prématurément un projet ?
L’annulation prématurée d’un projet déclenche dans toutes les méthodologies de gestion de projet le processus de clôture d’un projet.
Bien sûr, le projet n’ayant pas été mené à son terme, certaines tâches ne sont pas réalisées lorsque l’on annule un projet.
Voici le plan en 11 étapes que je suis lorsque je dois abandonner prématurément un projet :
- Se demander si le projet a toujours une change d’être livré en respectant l’objectif et en apportant le ROI escompté.
Avant de recommander l’annulation pure et simple d’un projet, je me demande toujours si on a exploré toutes les solutions possibles pour aller au bout du projet ou non, et si on a encore une chance de le livrer, sans exploser le budget. C’est ce que j’appelle « la question de la dernière chance ». ça permettra également de démontrer à votre direction que vous avez tout tenté et que l’abandon du projet est la seule solution viable. - Remonter la demande d’annulation en comité de pilotage.
En tant que chef de projet, vous n’avez pas le pouvoir d’annuler un projet. Vous émettez une recommandation au comité de pilotage pour arbitrage, qui s’appuie sur des éléments tangibles et factuels. - Présenter les éléments appuyant votre requête en restant factuel.
Lors du comité de pilotage du projet, vous devrez expliquer les raisons de votre demande d’annulation du projet. Mettez vos émotions et vos ressentis de côté, et concentrez-vous sur les faits et les éléments tangibles. - Arbitrage sur l’annulation d’un projet.
Le comité de pilotage délibère alors pour prendre une décision : l’annulation ou la poursuite du projet. S’ils choisissent de ne pas tenir compte de votre recommandation et de poursuivre le projet, je vous conseille alors de déterminer un indicateur de contrôle à suivre lors des prochains comités de pilotage. Si cet indicateur est dépassé, la question devra alors à nouveau se poser. - Communiquer à l’ensemble des parties prenantes la décision.
La première chose à faire lorsqu’un projet est annulé est de communiquer la décision à l’ensemble des parties prenantes du projet : Membres de l’équipe projet, équipes clients, partenaires, fournisseurs, prestataires, etc… Prenez le temps de répondre à leurs questions, certains n’ont pas entendu parler de difficultés jusqu’à aujourd’hui. - Préserver les relations et les ressources.
Votre travail le plus important ces prochains jours sera de préserver les relations que vous avez pu nouer avec les parties prenantes de votre projet, et aussi de préserver les ressources affectées à votre projet. - Identifier ce qui peut être sauvé ou réutilisé.
Il est rare que l’on doive jeter tout le travail accompli sur un projet. Il existe toujours quelque chose qui peut servir à d’autres projets ou être réutilisé pour des projets ultérieurs. Prenez le temps avec votre équipe d’identifier ces éléments, et sauvegardez-les précieusement. - Mettre en place une culture « zéro coupable ».
Vous devez vous assurer que personne ne va rechercher un coupable, responsable de l’échec du projet. Cette démarche est nuisible à l’ensemble des acteurs projet, et démotive les collaborateurs sur la durée, même s’ils sont affectés à de futurs projets. - Remercier les acteurs projet te les rediriger vers d’autres projets.
Même si le projet n’a pas été mené jusqu’au bout, remerciez les acteurs projet pour le travail accompli et leur investissement. Ils ont fait du bon boulot et ont fait du mieux qu’ils ont pu avec les éléments à disposition. C’est aussi l’occasion de « faire le deuil » du projet pour ces personnes, et de passer à autre chose. - Réaffecter les ressources sur d’autres projets.
Il vous reste ensuite à réaffecter les ressources restantes (logicielles, matérielles, logistiques, …) sur d’autres projets de l’organisation. - Rédiger le bilan projet et le retour d’expérience.
Enfin, dernière étape à réaliser même si le projet n’a pas été mené jusqu’à son terme : la rédaction du bilan projet et l’organisation d’un RETEX projet. Ce document bilan projet acte la fin d’un projet, et permet d’archiver les faits marquants du projet ayant mené jusqu’à son annulation. Le RETEX projet (retour d’expérience) permet de débriefer en interne sur les difficultés rencontrées et les axes de progrès à mettre en œuvre.
Pourquoi a t-on tant de mal à annuler un projet ?
Quelquefois, les projets ne peuvent pas aboutir et il vaut mieux abandonner plutôt que de basculer dans l’acharnement. Abandonner, quitte à rebondir sur un nouveau projet en apprenant de ses premiers échecs.
Mais pourquoi a t-on tant de mal à annuler un projet ?
J’y vois quelques raisons :
- Les chefs de projet sont optimistes par nature.
- Le biais des coûts irrécupérables.
- La peur de l’échec.
1 ) Les chefs de projet sont optimistes par nature
Abandonner, ce n’est pas dans notre nature. En tant que chef de projet, on est câblé pour ne pas abandonner.
Un chef de projet est par nature optimiste. Il est orienté résultats, motivé par le challenge, fait le nécessaire pour faire aboutir le projet, voit le verre à moitié plein et motive les autres membres de l’équipe projet en période de doute.
En bref, le chef de projet porte la vision du projet, et il doit y croire pour transformer ce projet en succès.
On a donc une tendance naturelle à continuer coûte que coûte, même lorsque le risque d’échec ou de non-rentabilité du projet est avéré.
Annuler un projet, c’est reconnaître son échec en tant que chef de projet, et c’est particulièrement difficile. Même pour ceux qui comme moi ont déjà dû annuler plusieurs projets.
2 ) Le biais des coûts irrécupérables
Le biais des coûts irrécupérables est une tendance à être influencé de manière irrationnelle par des décisions prises antérieurement. C’est ce qu’on appelle aussi un phénomène d’aversion à la perte.
Et nous en sommes tous victimes.
Par exemple, si j’ai déjà investi 100 000 € dans un projet, si je l’arrête maintenant, ces coûts sont irrécupérables : ils ont déjà été payés et ne sont ni remboursables ni récupérables par un autre moyen.
Pour éviter de perdre cet argent, j’aurai donc tendance à continuer coûte que coûte le projet, et même à réinvestir dedans afin d’essayer d’avoir un résultat positif, parfois en dépit du bon sens.
L’exemple le plus parlant : « l’effet Concorde » qui fait référence à l’entêtement des gouvernements français et britannique à poursuivre le projet de l’avion Concorde, malgré des dépenses immenses déjà engagées alors que l’on savit dès 1973 que l’exploitation commerciale n’était pas et ne serait jamais rentable.
3 ) La peur de l’échec
En France, on tient l’échec en horreur. Échec serait même synonyme de perte de crédibilité.
On s’imagine toujours qu’un échec va nous poursuivre toute notre vie et plomber notre carrière professionnelle. Parce qu’une personne qui vit un échec sur un projet n’est pas un bon chef de projet.
Pourtant, c’est en échouant que l’on apprend et que l’on peut s’améliorer. Selon moi, c’est même tout le contraire : un chef de projet qui n’a pas vécu d’échec sur ses projets ne peut pas être un bon chef de projet.
Vous devez comprendre une chose : ce n’est pas parce que vous êtes le garant et le responsable du projet que vous êtes responsable de toutes les problématiques rencontrées et de son annulation prématurée.
Si la NASA s’était arrêté au premier échec rencontré, l’humanité n’aurait jamais posé le pied sur la lune.
L’échec n’est qu’une opportunité de recommencer plus intelligemment.
Henry Ford
Peut-on me rapprocher d’avoir annulé un projet ?
Certaines personnes pourraient vous reprocher de demander l’annulation d’un projet et de ne pas aller au bout. D’où l’importance de mettre en place une culture « Zéro coupable ». Mais ce n’est pas ma vision des choses.
Ce n’est pas la faute du chef de projet si le projet est caduque et doit être annulée. Ni celle des acteurs projet, ni celle du client. Tout un tas de raisons peuvent pousser à une clôture prématurée d’un projet, certaines s’accumulant et se renforçant les unes les autres.
La responsabilité est toujours partagée lors de l’annulation d’un projet.
Je ne vois pas ça comme un échec. L’échec pour moi aurait été de continuer, de dépenser inutilement encore plus de ressources dans un projet voué à l’échec.
Lorsqu’on sait que l’on va dans le mur, ce n’est pas en continuant à rouler droit devant sans freiner que l’on va l’éviter au dernier moment.
Annuler un projet, ce n’est pas dans la nature des chefs de projet. Nous sommes par nature optimistes. Nous croyons au projet même face à l’adversité, pour motiver les troupes.
Annuler un projet, ce n’est pas plaisant, mais c’est parfois nécessaire.
Je le concède, c’est traumatisant pour le chef de projet, et pour l’équipe projet. Mais c’est la bonne chose à faire.
En recommandant l’annulation d’un projet au bon moment, vous évitez ainsi à votre entreprise des dépenses inutiles. Vous gagnerez ainsi le respect des autres pour avoir eu ce courage.