Estimer les coûts de son projet est une étape primordiale en gestion de projet, à côté de laquelle vous ne pouvez pas passer. Mais c’est aussi une des plus délicates.
J’en veux pour preuve que la gestion des coûts est ignorée encore par aujourd’hui par bon nombre d’entreprises et de chefs de projet. A tord.
Dans cet article, je vous explique pourquoi c’est important d’estimer vos coûts correctement, mais également quelles sont les différentes manières que vous pouvez utiliser.
Pourquoi estimer les coûts d’un projet ?
Estimer et gérer ses coûts sur un projet vous apporte de nombreux avantages, dont voici les principaux :
- Maximiser le retour sur investissement et la rentabilité du projet.
Éviter les dépenses inutiles sur un projet permet de protéger sa rentabilité, et de garantir un haut niveau de retour sur investissement, une fois le projet terminé. - Garder le projet sous contrôle.
Gérer les coûts d’un projet oblige le chef de projet à poser un cadre, à contrôler et suivre son projet. Cela permet d’éviter des dérives et écarts, ou du moins de s’en rendre compte avant qu’il soit trop tard, et également de se prémunir contre la flambée des coûts. - Affecter les ressources au bon moment.
En planifiant intelligemment les coûts du projet, on peut ainsi affecter les ressources (humaines et matérielles) au bon moment, et donc optimiser les coûts de son projet. - Pousse à la prise de décision en cas d’écarts.
Enfin, gérer les coûts tout au long du projet permet au chef de projet de demander un arbitrage à sa direction ou au comité de pilotage. Les écarts au budget prévisionnel lui permettent ainsi de forcer les décideurs à prendre une décision sur le projet (allonge budgétaire, renégociation du périmètre, échéance repoussée, etc…) - Prévenir de risques projets.
Le processus de gestion des coûts permet au chef de projet d’inclure une provision pour risque dans son budget global, généralement de 5 à 10%. Cette marge budgétaire permet d’absorber des coûts non prévus lors de difficultés opérationnelles ou quand des risques se déclarent sur le projet.
6 méthodes pour analyser les coûts d’un projet
Il existe plusieurs méthodes d’estimation des coûts d’un projet, certaines étant plus précises que d’autres. Généralement, les moins précises sont aussi les plus rapides.
Lors de la phase d’initialisation, on préfèrera les méthodes rapides, même si l’incertitude est plus élevée.
A mesure que l’on avance dans le projet, on affinera nos estimations afin qu’elles soient de plus en plus précises et détaillées.
Voici les principales méthodes d’estimation des coûts d’un projet :
1 ) La méthode analogique
Cette méthode d’estimation consiste à se référer aux coûts réels de projets similaires à celui que vous pilotez, en apportant de légers ajustements, en fonction du contexte de votre projet.
Pour cela, on se base souvent sur les bilans projet des projets passés, afin de réaliser son chiffrage.
Bien qu’elle soit rapide à utiliser, elle n’est pas la méthode d’estimation des coûts la plus précise. Elle est le plus souvent utilisée pour décider de la rentabilité d’un projet, et de s’il doit être lancé ou non.
2 ) La méthode ascendante
La méthode ascendante, ou méthode analytique, consiste à découper le projet en sous-projet, groupes de tâches et activités, puis à estimer le coût de chacune de ces activités, et à additionner le tout pour obtenir le coût estimé global du projet.
Pour utiliser cette méthode, il est nécessaire d’avoir détaillé son projet en activités, grâce à la technique du WBS – Work Breakdown Structure, ou Structure de Découpage de Projet (SDP).
Les coûts de chaque activité peuvent ensuite être renseignés dans un CBS – Cost Breakdown Structure.
La méthode ascendante est plus précise que d’autres, et est généralement utilisée lors de la phase de préparation et de planification du projet.
Cette technique est polyvalente et s’adapte très bien aux projets de toutes tailles. C’est d’ailleurs celle-ci que j’utilise le plus souvent quand je dois estimer les coûts des projets que je pilote.
3 ) La méthode paramétrique
La méthode paramétrique consiste à se baser sur des coûts unitaires afin d’estimer les coûts des tâches et activités du projet.
Cela fonctionne bien avec des projets qui ont un haut degré de répétabilité, ou qui sont maîtrisés par l’organisation.
Par exemple, si on connaît le prix d’une licence de logiciels à l’unité, et que l’on sait qu’on aura 12 personnes dans l’équipe projet, on sait estimer le coût total d’achat de ces licences, soit : prix unitaire * 12.
Par contre, si votre projet est créatif (exemple: recherche & développement), alors l’estimation paramétrique ne fonctionnera pas bien.
4 ) La méthode Delphi
La méthode Delphi est une technique d’estimation empirique qui consiste à obtenir un consensus d’experts. Elle permet ainsi de résoudre les problèmes d’écarts entre estimations à jugement d’experts.
Les experts sont réunis et fournissent des estimations anonymes. Les résultats sont ensuite partagés, et les experts sont invités à refaire de nouvelles estimations anonymes.
Au fur et à mesure des cycles, les estimations convergent vers une valeur, qui sera celle retenue par le chef de projet.
Il est également possible de laisser les experts discuter des estimations, notamment des plus extrêmes (les plus petites et les plus hautes).
5 ) La méthode d’estimation à 3 points
La méthode d’estimation à trois points consiste à demander aux experts trois estimations : la plus optimiste, la plus pessimiste, et la plus probable.
On utilise alors la formule suivante pour déterminer l’estimation des coûts retenue :
Estimation = (Estimation optimiste + Estimation pessimiste + 4 x Estimation la plus probable) / 6
Il est également intéressant de calculer l’écart-type, afin de créer un intervalle de confiance pour cette estimation. Voici le calcul :
Ecart-type = (Estimation pessimiste – Estimation optimiste) / 6
6 ) Le jugement d’experts
Le jugement d’experts consiste à demander un avis à des experts, pour déterminer le coût. Ces spécialistes se basent sur leurs expériences personnelles et les projets passés pour donner leurs estimations de coûts.
On ne les considère pas comme suffisamment fiables, car de nombreux biais sont introduits. Deux personnes ayant le même niveau de compétence peuvent faire des estimations diamétralement opposées.
On réserve généralement le jugement d’experts pour réaliser les estimations lors de la phase d’initialisation du projet, afin de déterminer sa faisabilité.
Qu’est-ce qui fait une bonne estimation des coûts ?
Une estimation des coûts n’est qu’une hypothèse, dont la fiabilité et la précision dépend de la méthode d’estimation utilisée, et de l’expérience du chef de projet qui la réalise.
Ce n’est jamais évident de savoir si notre estimation des coûts est bonne, réaliste ou encore acceptable. Surtout au début.
Pour vous aider, voici plusieurs facteurs qui vont vous permettre d’évaluer la qualité de vos estimations :
- Le degré de précision.
Une estimation des coûts n’est utile que si elle s’approche le plus de la vérité. Une bonne approche est de découper son projet en de multiples sections, et de procéder à une estimation détaillée des coûts pour chacune d’entre elles. Plus les « morceaux » estimés sont petits, moins vous avez de chances de vous tromper. - Le niveau de confiance.
Chaque estimation a un degré d’incertitude, qui dépend des objectifs du projet, de son contexte et des parties prenantes. Une bonne estimation devrait contenir un niveau de confiance, ou donner un ordre de grandeur. Les estimations peuvent ainsi être livrées sous la forme d’une plage (entre X et Y). - La justification des calculs.
Chacune de vos estimations et chacun de vos calculs doivent être justifiés et appuyés par des faits, des avis d’experts, des comparaisons avec des projets similaires, etc… De la même manière, plus vous êtes un chef de projet aguerri, plus les parties prenantes vous feront confiance par défaut. - La description détaillée des risques.
Les risques sont des événements pouvant survenir en cours de projet, qui risque de créer des remous. Les prendre en compte dès le départ, les quantifier, et en tenir compte dans vos estimations de coûts est un gage de sérieux et de qualité. - L’ajout d’une provision sur risques.
On ne sait jamais ce qui va arriver sur un projet. Mais comme disent les américains : « shit happens ». Une provision sur risques permet d’absorber des coûts imprévus sans faire exploser le budget. Elle est généralement de l’ordre de 5 à 10% du budget total alloué au projet.
Pour aller plus loin, je vous invite vivement à lire ces deux ouvrages (en anglais), sur la gestion des coûts, et les techniques d’estimation et d’optimisation des coûts :
Quand faut-il estimer les coûts d’un projet ?
Les coûts d’un projet doivent être estimés le plus tôt possible dans le cycle de vie du projet. Ils sont ensuite réévalués périodiquement par le chef de projet, jusqu’à la clôture du projet.
- Pendant la phase d’initialisation du projet.
Les coûts des activités projet sont estimés afin d’établir un budget prévisionnel à allouer au projet. - Pendant la phase de préparation et de planification.
Les coûts sont réévalués et détaillés par activité et par tâche, en accord avec le diagramme de Gantt et le planning détaillé. - Pendant la phase d’exécution.
Le chef de projet met à jour ses estimations de manière empirique, puis compare les coûts réels aux coûts estimés.
On distingue ainsi plusieurs catégorie d’estimation des coûts, en fonction du moment où ces estimations sont réalisées.
L’American Society of Professional Estimators (ASPE) a construit une échelle de 5 niveaux d’estimations (accessible ici). L’AACE International (auparavant Association for the Advancement of Cost Engineering) a résumé cette échelle en 5 points-clés :
- Estimations de l’ordre de grandeur.
Il s’agit d’une estimation approximative, ou « grosse maille », réalisée avant le démarrage officiel du projet, ou pendant sa phase d’initialisation. Elle se base sur un jugement d’experts ou une comparaison des coûts de projets antérieurs similaires. Le niveau de confiance est compris entre -25% et +75% du coût réel du projet. Ce type d’estimations ne doit être utilisé que pour faire le choix entre les projets rentables et les autres, afin de choisir lesquels prioriser. - Estimations intermédiaires.
Une estimation intermédiaire est déterminée par une technique paramétrique ou stochastique, et permet de déterminer la faisabilité d’un projet. - Estimations préliminaires.
Ce type d’estimations tient compte des livrables projet. Les estimations préliminaires sont effectuées lorsqu’on connaît la portée du projet. Elles incorporent la notion de coûts d’unité, et sont du coup suffisamment précises pour être utilisée comme base au financement du projet. - Estimations fondées.
Les estimations fondées sont assez précise et s’établissent principalement sur la base des coûts unitaires. A ce stade, on sait précisément ce qui doit être fait dans le projet et combien de temps ça durera, qui interviendra, etc… On a également tous les devis nécessaires pour les achats et locations. Ces estimations permettent d’établir une baseline (ou cadre de référence) afin de contrôler par la suite les dépenses des projets. - Estimations définitives.
Les estimations définitives sont les plus précises et les plus fiables, et sont utilisées pour créer des offres commerciales, répondre aux appels d’offres ou encore dresser un bilan des coûts du projet.
Les erreurs les plus courantes à éviter pour faire ses estimations de coûts
Il existe des pièges à éviter, qui peuvent largement fausser vos estimations et vous faire prendre par la suite de mauvaises décisions. Voici les plus courants :
- Horizon du projet trop lointain.
Plus l’échéance d’une tâche, d’une activité ou d’un projet est lointaine, plus vous aurez d’incertitude sur le déroulement, et moins vos estimations seront précises. Il ne faut pas faire d’estimations trop prématurées. Fonctionner par phases, étapes ou séquences me paraît être une bonne option pour les projets s’étalant dans le temps. - Manque d’expérience dans des projets similaires.
Lorsqu’on a peu d’expériences dans un type de projet, on a tendance à sous-estimer les coûts du projet, et à être trop optimiste. On manque également de projets antérieurs, pour comparer nos estimations. Si vous êtes dans ce cas, il est prudent de prévoir une provision sur risques plus importantes (de l’ordre de 10% à 20%). - Faire des estimations seul dans son coin.
Le chef de projet ne peut pas tout savoir, et ne devrait pas réaliser les estimations de coûts seul dans son coin. C’est un travail d’équipe. Qui d’autre que ceux qui réalisent les tâches pour estimer le temps nécessaire et le coût associé ? - Considérer que tout le monde travaille 100% de son temps.
S’attendre à ce que les ressources humaines fonctionnent à une productivité maximale c’est se mettre le doigt dans l’œil. En tenant compte des interruptions, des discussions informelles, etc, on est plus proche des 80% de temps productif que des 100%. - Ne pas tenir compte du temps de communication et de synchronisation.
Lorsque plusieurs personnes travaille sur la même activité, elles doivent nécessairement communiquer entre elles et se synchroniser pour réaliser cette tâche. Si le collaborateur A m’indique 1 jour de travail, et que B m’indique 2 jours de travail, le temps total pour finaliser la tâche ne sera pas de 3 jours, mais de 3 jours + le temps de communication. On sera donc plutôt autour des 3,25 jours. - Indiquer les estimations sous forme de sommes fixes plutôt que de plages.
Chaque estimation dispose d’une marge d’incertitude. Une estimation fixe est prise comme une vérité absolue, ce qui engendre souvent des conflits avec les parties prenantes. Préférez l’utilisation de plage, ou de marges d’erreur. par exemple, plutôt que de dire le projet coûtera 90k€, vous pouvez dire qu’il coûtera 90k€ (à + ou – 10%). - Ne pas tenir compte des risques et des imprévus.
Considérer que tout va bien se passer dans le meilleur des mondes sur un projet est une grave erreur. Car dans la réalité, ça ne se passe jamais comme ça. Il est donc important d’intégrer les risques identifiés et les plans d’action associés dans votre estimation de coûts. Encore mieux, prévoyez une marge de sécurité, nommée provision sur risques, afin d’absorber des coûts imprévus. - Céder à la pression des parties prenantes.
Le client, les membres influents du COPIl et votre direction peuvent essayer de faire pression sur vous pour réduire les coûts du projet. Du moins sur le papier. Si vous jugez que ça ne reflète pas la réalité, ne cédez pas, car vous vous tirerez une balle dans le pied. Les estimations de budget du projet doivent être factuelles.