En gestion de projet classique, on estime toutes les charges avant de réaliser le projet. Mais en agile, c’est impossible. Comment faire dans ce cas ?
Il existe plusieurs techniques d’estimation agiles, dont la plus connue est sans aucun doute le planning poker.
Dans cet article, je vais vous expliquer ce qu’est le planning poker, quelle est son origine, comment se déroule une partie de planning poker, et également vous donner des astuces pour organiser un planning poker efficace avec votre équipe Scrum.
Qu’est-ce que le planning poker Scrum ? Définition
Le planning poker est un outil d’estimation agile basé sur le consensus de l’équipe projet qui se pratique principalement en Scrum pour estimer la difficulté de réalisation des user stories. Cette technique d’estimation permet de confronter les points de vue des membres de l’équipe, et d’estimer rapidement la difficulté de réalisation d’une tâche complexe.
Contrairement aux autres techniques d’estimation, on ne parle pas de jours ou de jours-hommes, mais de points ou de story points.
Bien qu’il existe plusieurs façons de compter les points, on utilise traditionnellement comme unité de mesure la suite de Fibonacci : 0 – 1 – 3 – 5 – 8 – 13 – 21 – 34.
Le planning poker remplace avantageusement les méthodes d’estimation prédictives telles que l’estimation à 3 points. En effet, celle-ci n’est pas adaptée au monde agile.
Un projet agile est par définition incertain et évolutif. Une méthode prédictive servant à prévoir de manière détaillée tout le projet et à la journée près le temps nécessaire pour réaliser chaque tâche n’est pas pertinente.
Et c’est exactement pour ça qu’a été inventé le planning poker.
D’ailleurs, petit cours d’histoire rapide.
Origine du planning poker
Le planning poker a été décrit et utilisé pour la première fois par James Grenning en 2002, l’un des auteurs du manifeste agile.
Il s’est inspiré de la méthode Delphi, une technique d’estimation qui repose sur le consensus des experts, inventée au milieu du 20ème siècle par le think tank non lucratif RAND Corporation.
James Grenning a par la suite affiné et approfondie cette technique, puis l’a renommé planning poker.
Le planning poker a par la suite été repris et popularisé par Mike Cohn dans son livre best-seller « Agile estimating and planning », sorti en 2005, que je vous recommande d’ailleurs chaudement.
Pour aller + loin : Vous pouvez retrouver une traduction de l’article original de James Grenning sur le wiki agile du CESI, traduction réalisée par Fabrice Aimetti.
Comment organiser un planning poker ?
Pour bien comprendre comment fonctionne le planning poker, on va se mettre en condition réelle.
Avant de commencer, rappelez-vous qu’il est important pour qu’un planning poker soit efficace, que l’ensemble des intervenants puissent se réunir autour d’une table au calme sans être dérangés, pour une durée suffisante (généralement 1 à 2 heures).
Vous vous réunissez aujourd’hui avec les membres de l’équipe afin de faire une partie de planning poker et de livrer vos estimations.
Tout le monde s’installe, la machine à café chauffe, quelques chaises raclent sur le sol. Il manque encore quelqu’un. ça y est, la porte s’ouvre, le product owner rentre dans la salle, la séance peut démarrer.
- Distribution des paquets de carte.
Chaque participant se voit remettre un paquet de carte planning poker s’il n’en possède pas déjà un. Ces cartes seront par la suite utilisées pour donner des estimations. Si l’équipe est en télétravail ou sur plusieurs sites distincts, à défaut de cartes, l’équipe utilisera un logiciel spécialisé pour réaliser un planning poker, tel que planitpoker.com. - Présentation de l’ensemble des fonctionnalités.
Le product owner démarre la séance en présentant de manière succincte les différentes user stories qui vont être évaluées. Ces fonctionnalités seront par la suite détaillées l’une après l’autre. - Examen de la première story.
Le product owner commence par lire la première user story à voix haute. Il donne des éléments de contexte et explique aux autres participants les tenants et aboutissants de cette story. - Séance de questions / réponses.
Les participants posent des questions au product owner afin de mieux cerner le besoin, le périmètre du scénario, ainsi que les conditions de validation de la tâche (autrement dit : quels sont les critères qui doivent être respectés pour considérer ce travail comme terminé). Ces questions permettent d’affiner la compréhension de l’équipe, et ainsi permettent de mieux estimer la durée et la difficulté de réalisation de ce travail. Si l’équipe de développement juge que la user story est incomplète, le product owner la mettra de côté. Une fois complétée, celle-ci reviendra au prochain planning poker pour estimation. - Choix de l’US de référence.
L’équipe choisit collectivement quelle est la user story qui servira de référence à la séance d’estimation. On donne à l’histoire de référence une valeur numérique de 3. Cette histoire sert de base de référence pour toutes les histoires à venir et est utilisée pour comparer le nouveau travail à réaliser. - Premier tour, première estimation individuelle.
Il est maintenant temps de procéder au vote. Chaque participant va évaluer la complexité du travail à réaliser, et choisir une carte de planning poker en fonction. Une fois la carte choisie, il est très important de la cacher. Le mieux est de la poser face contre la table, devant soi. - Révélation des estimations.
Tous les participants ont choisi leur carte ? Bien, il ne reste plus qu’à révéler toutes les cartes en même temps. Le product owner peut à ce stade noter l’ensemble des estimations et calculer la valeur moyenne. - Échanges afin d’obtenir un consensus.
Si tous les participants ont mis la même estimation, c’est parfait : l’estimation est validée et vous pouvez passer à la story suivante. Dans le cas contraire, ceux qui ont mis la note la plus basse et la plus élevée doivent expliquer leur point de vue. Chacun s’exprime ainsi librement. - Seconde session d’estimation.
Une fois les discussions terminées, on lance une nouvelle session d’estimation pour la même user story. On répète donc les étapes 5 et 6. Ce processus se poursuit jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint. En règle générale, un second tour voir un troisième tour suffit pour mettre tout le monde d’accord. - Notation de la valeur de l’estimation.
On note la valeur de l’estimation obtenue sur la user story, puis on passe aux suivantes. - Analyse et estimation des user stories suivantes.
Pour estimer les user stories restantes, il suffit de répéter les étapes 3 à 10. L’US de référence doit cependant rester la même, pour que les estimations soient cohérentes entre elles. Idéalement, on essaye qu’une estimation prenne moins de 5 minutes et deux tours de table maximum.
Où se procurer des cartes de planning poker ?
J’ai sélectionné pour vous deux références de jeu de cartes planning poker, qui :
- Respectent la suite de Fibonacci.
- Permettent de jouer au planning poker à plusieurs (4 ou 10 personnes)
- Ne vont pas tomber en miettes au bout de quelques jours
Vous pouvez également créer votre propre jeu de cartes de planning poker personnalisé. C’est particulièrement utile lorsqu’une organisation souhaite convertir l’ensemble de ses équipes au planning poker.
Pour cela, rendez-vous sur le site « jeux de cartes personnalisés ».
Conseils pour réussir son planning poker
Voici quelques conseils à vous et à mettre en pratique si vous souhaitez réussir vos plannings poker et ne pas vous éterniser des heures en salle de réunion :
- Pas plus de 5 minutes par estimation.
Une estimation est par nature imparfaite, ne passez pas trop de temps dessus. Personne ne connaît l’avenir avec précision. - Tenez compte de la complexité et du risque.
Utilisez des nombres plus élevées pour refléter le niveau de risque ou d’incertitude ou encore d’inconnus. Le risque et la complexité poussent l’estimation vers le haut. - Ne tenez pas compte de la vélocité de l’équipe.
La vélocité moyenne de l’équipe est un indicateur servant à la planification macro, ce n’est en aucun cas un indicateur de performance ou une mesure prédictive. N’en tenez pas compte lors de vos estimations. - Ne revenez pas sur vos estimations, même si elles sont fausses.
Individuellement, nous sommes mauvais pour estimer. Nous faisons tous des erreurs. Mais collectivement, votre erreur d’estimation se noie dans la moyenne du groupe. - La discussion a autant de valeur que l’estimation.
Les échanges qui suivent l’estimation permettent de débattre de la fonctionnalité dans son ensemble. Nous ne voyons pas tous les mêmes choses. Ce qui est évident pour certains ne l’est pas pour d’autres. Ces échanges permettent de créer une dynamique de groupe et d’obtenir à terme un consensus. - Utilisez votre joker « ? » si vous êtes incapable de faire une estimation.
Il y a certains cas où on n’est tout simplement pas en capacité de réaliser une estimation. Dans ce cas, utilisez votre carte joker « ? ». - Éliminez les cartes trop rapprochées.
Plutôt que d’avoir des cartes 0 – 1 – 2 – 3 qui sont rapprochées, éliminez-en quelques unes et gardez seulement les cartes 1 et 3. Cela forcera les membres de l’équipe à se positionner. - Faites une pause café de temps à autre.
N’oubliez pas de vous dégourdir les jambes et de prendre un bon bol d’air (et un café) avant de vous y remettre.
Pour aller + loin : Je vous invite à consulter cet article pour comprendre pourquoi les estimations absolues type jours/homme sont vouées à l’échec.
Comment définir la valeur d’un story point ?
Le story point, ou point d’effort, est l’unité utilisé pour les estimations agiles, réalisées via le planning poker. Cette unité remplace avantageusement le jour/homme, et permet de limiter les biais cognitifs et les prédictions au doigt mouillé.
Les points d’effort sont déterminés par l’équipe de développement en fonction de la capacité de l’équipe, de la complexité du travail à réaliser, du risque associé ainsi que de l’incertitude.
Le résultat prend la forme d’un chiffre, le plus souvent tiré de la suite de Fibonacci (1 – 3 – 5 – 8 – 13 – 21). Mais on peut aussi utiliser les tailles de tshirt (XS – S – M – L – XL).
Cela permet à l’équipe d’avoir un ordre de grandeur pour chaque fonctionnalité à développé, présente dans le product backlog, et de savoir quelle charge de travail elle est en mesure de réaliser durant le sprint.
Avantages du planning poker
Le planning poker, ou poker de planification, est une technique d’estimation qui apporte de nombreux bénéfices à l’équipe :
- Une meilleure collaboration d’équipe.
Le planning poker favorise les échanges entre les membres de l’équipe, afin de trouver un consensus. - Chacun peut s’exprimer librement.
Tous les participants peuvent expliquer et justifier leur estimation, et peuvent mettre en lumière des éléments importants qui ont pu être omis par d’autres. Le planning poker permet aux personnalités moins affirmées de faire valoir leur point de vue. - Les biais sont limités voire supprimés.
Il y a toujours quelqu’un qui va se baser sur les estimations précédentes pour se forger son propre avis. Comme tous les participants donnent leur estimation en même temps, ce biais est supprimé. - Le planning poker aide à prioriser le backlog du produit.
Il permet en effet d’estimer la durée de réalisation ou la difficulté de fonctionnalités, ou de user stories. On a donc plus de chances de traiter les fonctionnalités importantes dans les sprints suivants. - Les opérationnels sont au cœur des estimations.
Contrairement aux méthodes d’estimation prédictives, où celui qui estime n’est pas nécessairement celui qui réalise, le planning poker remet l’équipe agile au centre. Ceux qui font sont les plus à même d’estimer le temps nécessaire pour réaliser la tâche. - Les estimations en groupe sont plus précises que les estimations individuelles.
C’est en effet ce qu’a constaté ScienceDirect dans cette étude.
Des cartes de planning poker, dont les chiffres sont tirés de la suite de Fibonacci
Qui participe au planning poker ?
Le product owner et l’équipe de développement (les experts) participent au planning poker. Les estimations pour chaque user story sont exclusivement réalisées par les développeurs, sur la base des explications fournies par le product owner.
Le product owner est présent car il porte la vision produit.
Il sait ce qui est important pour les parties prenantes du projet. Il maîtrise son product backlog sur le bout des doigts et présente les différentes user stories à estimer à l’équipe de développement.
Le scrum master peut également participer en tant qu’observateur au planning poker.
Bien que cela soit totalement optionnel, je vous le recommande notamment s’il s’agit des premiers planning poker de l’équipe. Cela vous permettra de renforcer cette pratique et de guider les participants dans cette nouvelle manière d’estimer.
A quel moment utiliser le planning poker ?
Le planning poker peut s’effectuer lors du sprint planning, au début du sprint, mais également de façon régulière lors du product backlog refinement.
Le product backlog refinement est un processus continu, sous la responsabilité du product owner, qui permet d’affiner le backlog de produit, de détailler les fonctionnalités et de les estimer, pour les futurs sprints.
Cet atelier de travail récurrent réunit le product owner et l’équipe de développement, et ne devrait pas prendre + de 10% du temps de travail de l’équipe.
Comme les projets agiles bougent quotidiennement, évolue, voient des fonctionnalités apparaître et d’autres disparaître, il est nécessaire de réaliser un product backlog refinement et donc un planning poker plusieurs fois par semaine.
Les estimations préliminaires qui en résultent permettent de définir et d’apprécier la tailler et la portée d’un projet agile, mais également de préparer les futurs sprints de l’équipe.
Combien de temps dure le planning poker ?
La durée d’un planning poker est généralement de 1 à 2 heures, mais peut varier en fonction du nombre de user stories à estimer, de la complexité des tâches à réaliser, de la capacité de l’équipe a trouver un consensus ainsi que de la maturité de l’équipe sur cet outil d’estimation.
On essaye généralement de prendre 5 minutes par user story pour l’estimation. Mais ça peut vite augmenter, notamment lorsqu’il y a débat.
Personnellement, je vous conseille d’augmenter la fréquence des planning poker et de faire en sorte qu’ils durent moins longtemps. Mieux vaut 4 planning poker de 15 minutes à caler dans la semaine,, plutôt qu’un seul d’1 heure.
Les développeurs se rendront plus facilement disponibles, mais vous éviterez aussi le syndrome des réunions qui s’étalent en longueur.
Peut-on faire un planning poker à distance ?
Il est tout à fait possible de réaliser un planning poker à distance. C’est d’autant plus indispensable que les équipes sont aujourd’hui distribuées, en télétravail, ou dans des locaux multiples. Cependant, cela vous demandera un peu d’organisation et de pratique.
Il faut absolument éviter de faire un tour de table en visio, où chacun parle à tour de rôle pour donner ses estimations. C’est le meilleur moyen de fausser les résultats, car les derniers auront tendance à s’aligner sur les estimations des premiers.
Un peu comme quand vous êtes au resto, que vous souhaitez commander une salade, mais que les 3 avant vous ont commandé un steak frites. Il y a plus de chances que vous cédiez et commandiez la même chose, pour vous conformer au groupe.
Pour faire un planning poker de qualité à distance, je vous conseille d’utiliser un logiciel spécialisé. J’en ai d’ailleurs testé 5 : je vous donne mon retour d’expérience dans cet article.
Est-ce que le planning poker fonctionne vraiment ?
Le planning poker est une méthode d’estimation efficace pour les projets agiles. Les discussions que cette technique suscite sont bénéfiques pour l’équipe, permettent à chacun d’exposer son point de vue, et ainsi permettent à chacun d’apprécier la tâche à réaliser dans sa globalité.
Les estimations de groupe sont toujours plus précises que des estimations individuelles. Rien que ça devrait vous mettre la puce à l’oreille.
Cependant, il existe toutefois des alternatives au planning poker. Le courant du « no estimate », ou le zéro estimations, prend également de l’ampleur.
Pour appuyer le fait qu’un groupe est plus fort en terme d’estimation qu’un individu, découvrez comment 50 000 personnes dans 75 pays différents ont réussi à tenir tête à Gary Kasparov aux échecs, chose que le commun des mortels est bien incapable de faire.
Pour aller + loin : Découvrez dans cet article quelles sont les alternatives au planning poker pour réaliser vos estimations agiles.
2 livres sur les estimations agiles
Afin d’approfondir vos connaissances sur le planning poker et les story points, je vous conseille ces 2 livres de référence sur l’art et la manière de réaliser des estimations en agile.